Gestion de la Crise financière internationale : Ce que propose Golou Emmanuel pour le Bénin

Publié le par ABDOULAYE BIO TCHANE

L’Afrique face à la crise financière internationale, c’est le thème développé samedi dernier au Chant d’Oiseau de Cotonou dans le cadre de la deuxième conférence des cadres du Parti Social Démocrate (PSD). Après le Président du Parti Bruno AMOUSSOU, il y a quelques mois est intervenu sur le thème ‘’Quel avenir pour le combat politique au Bénin’’, le Secrétaire Général du Parti Emmanuel GOLOU s’est appesanti sur la préoccupation internationale que constitue la crise financière. Devant un parterre de militants et sympathisants du Psd, c’est en homme averti que le secrétaire général du parti a décrypté le sujet en l’accompagnant de propositions concrètes. Il faut préciser que Golou Emmanuel est titulaire d’un doctorat en sciences économiques, option monnaie, finance et banque de l’université Paris Dauphine et du diplôme d’Etudes supérieures bancaires et financières du centre ouest africain de formation et d’études bancaires de la banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Beceao) à Dakar (Sénégal) en 1984. Promoteur du bureau d’Etudes, Afrique études, l’on retient de lui de nombreuses études réalisées dont l’instauration d’une zone de libre échange entre les pays de la Cen-sad en 2006. En 1994, il a réalisé l’étude sur la compétitivité de l’économie béninoise. C’est un ancien fonctionnaire de la BCB.

M.K.
Journal LE PROGRES  15/06/09

L’Afrique face à la crise financière internationale
C’est un honneur et un plaisir pour moi de vous entretenir sur un sujet important qu’est celui concernant la crise financière dans le cadre du programme d’information et de formation des cadres de notre Parti . Comme vous l’avez appris à travers la presse, l’économie américaine a été vivement secouée et est entrée véritablement en crise au dernier trimestre de 2008. Cette crise qui se poursuit jusqu’à ce jour a, en raison de la mondialisation de l’économie, atteint beaucoup d’Etats presque simultanément. Elle apparaît plus grave que la Grande Dépression de 1929 avec les entreprises à l’arrêt, un chômage très sévère, des retraités sans pension de retraite et des pauvres de plus en plus pauvres.
Face à cette crise, les pays leaders de la planète, réunis au sein du G20, se sont mobilisés avec plus de 3 000 milliards de dollars de plans de relance et de sauvetage. Ils ont également pris des résolutions tendant à abolir les paradis fiscaux, à lutter contre les hedge funds et à interdire aux agences de notation d’être rémunérées par le client qui sollicite leurs services, etc. Beaucoup d’entre eux ont fait le mea culpa en affirmant leur détermination à ne plus voir ça.
Mais comment en est on arrivé là ? Comment se fait-il que même les économistes de Wall Street n’ont pas pu voir venir ? Comment expliquer que le monde n’apprenne toujours rien de ses folies destructives avec les nombreuses crises connues par le passé ?
Nous tenterons à travers les commentaires qui suivent d’esquisser quelques réponses à ces questions.
Avant de parler des conséquences et des solutions à la crise, nous évoquerons trois faits qui sont cités de façon régulière pour expliquer comment cette crise est arrivée :

  une abondance de crédit,

  une recherche effrénée de profit par le capital, et

  une déréglementation du système financier.

I. L’ABONDANCE DE CREDIT

L’histoire de cette crise commence avec celle des subprimes. Sous ce terme un peu barbare, se cachent des crédits immobiliers gagés sur la valeur des biens acquis, accordés à des ménages modestes de la Californie, de la Floride et du Texas. Ces prêts dont le montant total atteint 1 200 milliards de dollars, ont été distribués à partir du début des années 2000 par des Courtiers en prêts immobiliers peu scrupuleux, échappant au contrôle des autorités de régulation. Découpés en titres puis insérés dans des produits financiers complexes qui en ont démultiplié le risque, ces crédits ont été revendus à des banques et à des investisseurs du monde entier. Lorsque le marché immobilier américain s’est mis à chuter, ces crédits n’ont plus été remboursés, provoquant des pertes très importantes pour les acheteurs de produits subprimes.
Déjà en juillet 2007, la banque d’affaires Bear Stearns avait annoncé la faillite de deux de ses fonds d’investissement, créant une psychose dans le monde de la finance qui prend véritablement conscience du danger que représentent les subprimes. Plus tard, en mars 2008, la banque sera rachetée par sa concurrente JP Morgan avec l’aide des autorités américaines, au prix bradé de 2 dollars par action. Dans la planète finance, c’est l’effroi : beaucoup de banques ont investi dans ces prêts toxiques et dans leurs dérivés. Plus le marché immobilier américain plonge, plus leurs pertes se creusent.
A plusieurs reprises, on croit que la crise est endiguée mais tout s’emballe le 14 septembre 2008 avec la faillite de l’une des plus anciennes banques d’affaires de Wall Steet : Lehman Brothers. Mais ici, les autorités américaines n’interviennent pas, dans l’idée de faire un exemple en cessant de sauver un secteur financier malade et coupable de ses propres excès. En voyant couler Lehman Brothers, le marché panique et le système bancaire mondial vacille.
Après la chute de cette banque, le marché se disloque. La distribution de crédit se paralyse. Sur le marché interbancaire, les taux s’envolent, signe que les banques refusent de se prêter de l’argent entre elles, de peur de n’être jamais remboursées. Les établissements financiers asphyxiés cessent alors de financer le reste de l’économie, ne prêtant plus ou à des coûts rédhibitoires. Les entreprises les plus fragiles, les PME lourdement endettées, font faillite.
En dépit des plans de relance de plusieurs centaines de milliards de dollars, la crise économique est en marche. Le 6 novembre 2008, le FMI annonce une récession mondiale. La pire pour les pays développés depuis l’après-guerre.
Devant cette débâcle générale, une question se pose : pourquoi n’a-t-on rien vu venir ? Après un essor économique mondial ininterrompu depuis cinq ans, le pire qui puisse arriver serait seulement selon les économistes pessimistes, un atterrissage en douceur c’est-à-dire un léger ralentissement de l’activité économique mondiale. Mais rares furent ceux qui s’inquiétèrent, au-delà du marché des subprimes, du recours massif et excessif au crédit et de sa menace sur l’économie. Car cette crise est, d’une manière plus générale, la conséquence des excès observés sur le marché du crédit aux Etats Unis, alimenté par la politique monétaire très souple, c’est-à-dire des taux d’intérêt très bas, rendant le crédit peu cher, menée par Alan Greenspan, qui dirigea la Fédérale Américaine de 1987 à 2005. Par exemple, après les attentats du 11 septembre 2001, les taux d’intérêt ont été abaissés à 1 %. Cette réduction du coût de l’argent a permis de stimuler la consommation des ménages américains, leurs achats de logement et les investissements des entreprises. Mais elle a aussi permis aux financiers de multiplier les mécanismes d’emprunts de plus en plus sophistiqués et de plus en plus audacieux. Les crédits ont agi comme des stéroïdes pour doper la croissance américaine. Mais il y a eu overdose. L’Amérique est aujourd’hui en cure de désintoxication, explique Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie en 2001.
Il ne faut pas oublier que dans la période, les marchés ont aussi été alimentés par un afflux exceptionnel de liquidités, de pétrodollars venus des pays du Golfe et de la manne engrangée par les excédents commerciaux de Chine et d’Asie. L’argent abondant et bon marché a ainsi contribué à réduire le coût du risque. Pour doper les rendements, les financiers ont alors multiplié les innovations financières dont les subprimes, type de crédits immobiliers accordés à des emprunteurs à solvabilité douteuse, voir inconnus du système bancaire.

2. LE CAPITAL A LA RECHERCHE D’UN PROFIT MAXIMUM

Au début des années 1990, sur fond de morosité économique et après avoir subi des déboires dans leurs activités classiques, les banques lorgnèrent vers des activités de marché (produits dérivés, changes, gestion d’actifs, etc.) qui présentent l’avantage de générer des commissions et des revenus juteux. Au sein de ces activités, la confection et la vente des dérivés occupent une place très importante. A titre d’exemple, indique Ibrahim Warde (1), près des deux tiers des résultats nets de la Société Générale, proviennent de ces activités de marché où la part des produits dérivés est de près d’un tiers. La Bankers Trust New-yorkaise, longtemps en difficulté, s’est refait une santé en abandonnant l’intermédiation classique pour se définir comme gestionnaire de risque. Beaucoup de banques dans le monde sont entrées dans ce créneau.
Comme cela a été évoqué plus haut, sur fond de baisse des taux d’intérêt, l’achat de produits dérivés offre des plus-values attrayantes. Si en 1960, les profits du secteur financier représentaient 14 % des profits de l’ensemble des entreprises américaines, ils en représentent, en 2008, 39 %. Les salaires quant à eux, ont baissé en valeur relative : le salaire moyen d’un citoyen américain est aujourd’hui inférieur à celui de 1979.
Qu’ils soient côtés en Bourse ou échangés gré à gré, ces produits dérivés poursuivent une ascension inexorable. Ainsi, entre 1992 et 2007, la taille du marché a été multipliée par près de 150, passant de 4 000 milliards à 596 000 milliards de dollars. Il n’y a aucune limite à ce qu’un financier imaginatif peut créer. Comme l’explique Michael Lewis (2) : Le risque peut être mis en conserve comme les tomates. Différents investisseurs sont prêts à assumer différents niveaux de risque. La banque peut donc acheter le risque à bon marché et le revendre plus cher, sans en assumer elle-même aucun.
Il y avait tous les arguments pour vanter les mérites des produits dérivés (1 200 répertoriés en 1994). C’était l’euphorie et comme l’a expliqué M. Brian Walsh, l’un des dirigeants de la Bankers Trust qui a beaucoup profité de ces produits dérivés : Nous sommes les missionnaires des produits dérivés (3).
Mais devant cette euphorie, on note que la nature des rapports entre l’économie virtuelle (dérivés) l’économie financière (titres) et l’économie réelle (production de biens et services) s’est trouvée complètement transformée car, en 1994, le marché des produits dérivés est trois fois supérieur aux montants échangés sur le marché et représente plus du double du produit intérieur américain. Ainsi donc, l’économie financière et plus grave l’économie réelle se retrouvent à la merci des dysfonctionnements de l’économie virtuelle.
Face à cette démesure, les Gouvernements et les banques centrales ont commencé à s’inquiéter, conscients du risque systémique que des produits mal compris et trop rapidement multipliés font courir à l’ensemble du système financier et à l’économie de façon générale. Un éclatement de bulle spéculative menace. Mais les grands établissements financiers craignant qu’on ne tue la poule aux œufs d’or, s’opposent vigoureusement à tout contrôle. M. Marc Vienot, (4) alors Président de la Société Générale déclarait : Le procès que l’on fait aux produits dérivés me paraît excessif, et les risques qu’on leur prête aussi (…). Personnellement, je ne crois pas qu’on ait besoin d’une réglementation internationale particulière. Le Président de la Réserve fédérale américaine M. Alan Greenspan déconseillait au Congrès de légiférer sur le sujet. Toute réglementation supplémentaire sera inutile, voire néfaste, dit-il, car le risque systémique est négligeable. Selon lui, l’autoréglementation des opérateurs, s’ajoutant aux sanctions du marché, devrait suffire amplement à assurer la stabilité du système (5). Ces déclarations sont du passé et clairement contredites par les faits aujourd’hui. Comme le prévoyaient quelques rares économistes, la bulle immobilière éclata car l’augmentation des taux d’emprunt et la chute des prix de l’immobilier ont rendu des centaines de milliers de familles incapables de rembourser. Ainsi, tous les produits dérivés adossés aux subprimes ont perdu leur valeur dans les bilans. De montants souvent très colossaux, ils ont fait couler beaucoup de banques et de fonds spéculatifs.
3. LA DEREGLEMENTATION A TOUT PRIX

Pour beaucoup d’économistes, la déréglementation dans le système financier est l’une des causes majeures de la crise financière. Face aux dogmes du laisser-faire et du laisser-passer, les acteurs opérant à la bourse comme sur d’autres marchés financiers se sont tout permis avec l’appui de leurs gouvernants. Le nom du président américain Ronald Reagan restera associé au triomphe du néolibéralisme. Il fit de son pays, le champ d’expérimentation de la déréglementation tous azimuts, depuis la bourse jusqu’au marché de travail.
Cinquante ans après le New Deal, l’arrivée de Reagan en 1981 a marqué le début d’une profonde mutation du capitalisme américain. Il a incarné mieux qu’aucun autre président, la liberté économique et la lutte contre le big government. Lorsqu’il est entré en fonction, son objectif majeur était de réduire les impôts, la régulation, les dépenses publiques et l’inflation. C’est sous la présidence de Reagan que fut abolie dans les faits, la loi américaine Glass Steagall de 1933 héritée du New Deal et qui interdisait aux banques d’investir en Bourse. Dès que l’ouverture fut faite et sans tarder, les banques investirent dans de nouveaux placements au nom de la diversification et pour s’enrichir. Cette déréglementation s’est rapidement répandue sur les autres places boursières internationales.
Selon Ibrahim Warde, dans son article paru dans le Monde diplomatique de janvier 1991, les assises du système bancaire ont été détruites par la déréglementation.

4. LE SEÏSME FINANCIER AUX CONSEQUENCES JAMAIS VUES DEPUIS LA CRISE DE 1929

D’abord, cette crise financière s’est vite propagée dans le monde à cause de la mondialisation financière mais surtout à cause du fait que les Etats-Unis absorbent presque la moitié des capitaux mondiaux. Tout choc dans un pays, à fortiori aux Etats-Unis, se fait immanquablement ressentir sur la planète. Des investisseurs du monde entier possédaient des dettes américaines titrisées. Par exemple, la Banque Centrale de Chine détenait 380 milliards de dollars de créances sur Fannie Mae et Freddie Mac, les deux institutions de refinancement hypothécaire mises sous tutelle du Trésor américain, le 7 septembre 2008. Ces deux institutions détenaient à elles seules, 45 % de l’encours total du crédit immobilier aux Etats-Unis.
Mais c’est le secteur bancaire même qui a le plus souffert de la crise. Certaines banques ont été nationalisées comme la Morthern Rock, au Royaume Uni ; d’autres ont bénéficié de sauvetage en catastrophe comme la banque Belgo-Neerlandaise Fortis et la Britannique Bradford et Bringley. D’autres sont englouties par leurs concurrents dans l’urgence. (Wachovia par Wells Fargo et Washington Mutual par JP Morgan Chase, aux Etats Unis, Dresdner Bank par CommerzBank, en Allemagne, etc. …). A eux seuls, les Etats-Unis comptent 25 faillites bancaires en 2008, dont la plus grande de l’histoire américaine, Washington Mutual, (188 milliards de dollars de dépôt). Toutes les institutions financières ont vu s’effondrer leur valeur boursière ; des dizaines de milliards de dollars, d’euros ou de yens sont parties en fumée. Les géants d’hier sont tombés de leur piédestal. Le crédit est aux entreprises, ce qu’est l’eau pour l’homme. Or, par ces temps de crise, il est devenu rare et plus cher. La crise financière qui secoue les banques ne peut donc qu’avoir des répercussions sur l’économie dite réelle : celle des firmes non financières. A titre d’illustration, les cas de la filière automobile et celle de l’immobilier seront évoqués. Ces deux filières ont en commun au moins deux choses : elles sont du domaine des biens durables pour les ménages et sont souvent acquis à l’aide de crédits bancaires. Par exemple, s’agissant de l’industrie automobile, aux Etats-Unis, trois voitures sur quatre sont achetées à crédit, si bien qu’avec le resserrement du crédit (crédit crunch), la demande ne peut que chuter. C’est ce qui justifie d’ailleurs qu’à la fin de l’année 2008, les ventes des constructeurs américains aient chuté de plus de 30 %. Général Motors, Ford et Chrysler, faute de liquidité et ne pouvant même plus recourir aux crédits bancaires, n’ont dû leur salut qu’à l’aide que l’Etat leur a apportée afin d’éviter la faillite. Que ce soit dans le domaine du secteur bancaire, ou ceux de l’automobile et de la construction, ce sont toutes leurs filières respectives qui sont en difficulté, il s’agit des entreprises qui travaillent avec elles en amont et en aval. La chute de la production de voitures et le coût de frein de la construction immobilière font tourner les hauts fourneaux au ralenti ; moins de demande de fer, de charbon et de ferrailles, etc. De même, les difficultés de ces secteurs sont accompagnées de l’annonce de plans sociaux massifs. Au niveau du secteur bancaire, les licenciements se sont accélérés à compter du mois de septembre 2008, aboutissant à un nombre impressionnant d’emplois détruits durant l’année : 300 000 pour l’ensemble de la finance mondiale, dont 220 500 aux Etats-Unis et 70 000 en Europe ; Au début du mois de mai 2009, 5 millions d’emplois sont détruits aux Etats-Unis, tout secteur confondu, depuis décembre 2007. Nous devrions constater des centaines de milliers de pertes d’emplois durant encore un certain temps a reconnu Robert Gibbs, porte parole de la Maison Blanche. (7) Malgré les mesures prises dans chacun des pays riches et à travers les rencontres du G20, la récession se poursuit aux Etats-Unis et se généralise dans la zone Euro. La récession se définit par deux trimestres consécutifs de croissance négative du PIB. Aux Etats-Unis, le PIB s’est rétracté de 6,1 % de Janvier à mars 2009 contre 6,3 % au dernier trimestre de 2008. Le Gouvernement allemand qui pariait sur un recul du PIB de -2,25 % en 2009, a revu ses prévisions à -6 %. L’Italie devrait abaisser dans les prochains jours, sa prévision de croissance pour 2009 qui passerait d’un repli de -2 % à près de -4 %. Les effets de la crise financière internationale sont ressentis un peu partout dans les pays riches et même dans les pays émergents (Brésil, Inde et Chine) que l’on croyait assez indépendants des Etats-Unis pour pouvoir résister à un ralentissement de la première économie mondiale. Il sera évoqué un peu plus loin, les effets de la crise sur les pays pauvres et en particulier, sur l’Afrique.

5. LE RECOURS A L’ETAT POUR FAIRE FACE A LA CRISE
Dès le début de la crise, les Gouvernements des pays riches à travers le G20, se sont impliqués très rapidement dans la recherche des solutions qui permettent de rétablir la confiance dans les marchés contrairement à l’attentisme observée en 1929. Durant la crise de 1929, en effet, le Gouvernement américain n’était pas venu au secours des banques, laissant le marché s’autoréguler. On sait ce qui advint ; plus de 700 banques américaines vont payer de leur existence.
Pour cette crise-ci, des centaines de milliards de dollars ont été mobilisés pour aider les entreprises (Général Motors, Chrysler) et pour prendre des participations dans les banques ; tout le système bancaire britannique ou presque est désormais nationalisé. L’Etat se retrouve au centre de la cité dans les temples néolibéraux de New-York et de Londres. Ce qui fait dire au Président de l’Eurogroupe, le luxembourgeois, Jean-Claude Juncker que Wall Street est devenue la place Rouge … Même les Russes n’oseraient pas étatiser à ce point. Keynes est de retour ; cet économiste qui a toujours prôné l’intervention de l’Etat pour la relance de l’économie à travers la relance de la demande publique doit se réjouir dans sa tombe. Ses livres sont à nouveau demandés dans les librairies. L’éditeur Payot a vendu 391 exemplaires sur le seul mois de septembre 2008 contre 547 sur l’ensemble de l’année 2007.
D’autres mesures ont été prises par le G20, toujours pour calmer les marchés et relancer l’économie. Les taux d’intérêt ont été baissés, des structures publiques ont été créées pour le rachat des actifs toxiques, des garanties étatiques sont promises pour les prêts interbancaires, des consignes ont été données pour modérer les versements de dividendes, moraliser les stock-options, plafonner les rémunérations, etc.
Par ailleurs, au G20 de Londres, l’accent a été mis sur la remise en ordre structurelle dans la sphère financière. On promet de s’attaquer aux paradis fiscaux (au secret bancaire, aux plates-formes défiscalisées servant à abriter la formation des profits et des hauts revenus). On ambitionne de mieux contrôler les hedge funds (ces fonds dévastateurs qui se déplacent sans contrôle). On veut repenser les ratios prudentiels des établissements financiers. On veut remodeler les rémunérations des acteurs des marchés (pour qu’ils prennent les bons risques) et on se prépare à mieux encadrer le travail des agences de notation (pour éviter les conflits d’intérêt).
Il y a quelques mois, personne n’aurait pu penser que des mesures du genre pourraient être prises à Washington ou à Londres, dans ces cités du capitalisme triomphant.
Mais peut-on dire que ces mesures du G20 rentrent dans le cadre de la mise en cause fondamental du système capitaliste ambiant ou représentent plutôt des mesures d’entretien – disons, travaux d’entretien du système ?
En réalité, la gestion institutionnelle de cette crise reste tout de même d’inspiration très libérale. L’approche reste celle de la gestion des risques que l’on ne s’interdit pas de créer. La batterie des mesures envisagées se trouve bien dans ce registre où il n’est question que d’augmentation de la transparence, de contrôle des systèmes d’incitation, de régulation prudentielle, de supervision, de renforcement de la gouvernance et du management du risque, c’est-à-dire toute une ingénierie d’ordre technico-politique visant à tenter de rattraper les dérives induites par une doctrine restée intacte : celle qui crée les risques au nom de la liberté d’entreprendre et tente ensuite, de domestiquer la bête, une fois qu’elle se trouve dépassée par son créateur. De ce point de vue, le corset des institutions, règles, normes, chartes qui va s’abattre sur la finance n’est pas le produit d’un retour aux tentations socialistes.
Il en est ainsi en particulier, s’agissant des nationalisations qui ont eu lieu où le rôle de l’Etat n’est pas autre chose que celui d’un pompier de service qui éteint l’incendie et quitte la place sans délai. Cela a été bien confirmé à la Conférence de presse du Président OBAMA, le mercredi 29 avril 2009 (8) car dit-il : Qu’il s’agisse de banques ou de constructeurs automobiles, l’Etat doit chercher à en sortir dès que la situation s’est améliorée. …. L’objectif est que ces entreprises émergent de cette crise en meilleure position avant d’être restituée au secteur privé. Cela a été évoqué plus haut, les mesures prises par les pays riches sont à considérer comme des "travaux d’entretien" d’une idéologie néolibérale, mais seront-elles efficaces et suffisantes pour juguler la crise ? Quelle va être la durée de cette crise ? Ce serait risqué d’aller sur ces pistes. Certains pensent que par rapport à la crise de 1929, il y a plus d’expertise qualifiée aujourd’hui pour y faire face. Beaucoup avancent l’idée que n’ayant pas pu voir venir, les experts ne sont pas en mesure de prévoir l’issue de la crise.

6. LE CAPITALISME EN PANNE

La crise financière actuelle n’est pas la première dans l’histoire ; elle est seulement plus brutrale, plus ample et plus profonde que toutes celles qui l’ont précédées.
On se souvient de la panique bancaire de 1907, du krach de 1929, de la crise pétrolière de 1973, et du lundi noir de 1987 où le dow Jones a perdu 22,6 %.
Depuis que le capitalisme a pris le pouvoir, dit Jacques Attali, la crise semble même son état naturel (9). Interrogé sur ce que serait l’analyse de Marx de cette crise, Jacques Attali répond : Marx aurait analysé cette crise comme un soubresaut. Il y en aura beaucoup d’autres si celui-ci n’est pas pris au sérieux – et il ne sera pas pris au sérieux. Tout repartira comme avant … Et Alain Minc, Conseiller de plusieurs entreprises françaises d’ajouter, dès 2010, la Bourse va de nouveau s’envoler. On va voir un lâche soulagement. On fera mine d’avoir tout oublié de ce qui s’est passé. Et l’apparition d’oligopoles privés dans la banque va faire naître à nouveau, un fort désir de dérégulation. Puis suivront des bulles et d’autres crises.
Dans un entretien avec Emmanuel Wallerstein, chercheur au département de sociologie de l’Université Yale sur les crises (11) celui-ci évoque l’idée que le capitalisme ne parvient plus à faire système, au sens où l’entend le physicien et le chimiste Prigogine, ILYA (1917-2003) : quand un système biologique, chimique ou social, dévie trop et trop souvent de sa situation de stabilité, il ne parvient plus à retrouver l’équilibre et l’on assiste alors à une bifurcation.
Dans ces conditions, la situation devient chaotique, incontrôlable pour les forces qui la dominaient jusqu’alors, et l’on voit émerger une lutte, non plus entre les tenants et les adversaires du système, mais entre tous les acteurs pour déterminer ce qui va le remplacer.
Mais qu’est-ce qui va remplacer le système capitaliste ? La conviction que j’ai est que : l’étatisme, version extrême du socialisme a fait faillite ; le libéralisme, version extrême du capitalisme, est en train de connaître le même sort. Les économies du nouveau siècle devront être mixtes. Mais ce n’est pas un système nouveau ou inconnu qui va s’imposer à la lumière des faits d’aujourd’hui : c’est bien la Social Démocratie. Oui pour le marché avec des règles protectrices du citoyen, mais présence forte de l’Etat dans la gestion des services publics "santé, éducation, transport, eau et électricité, etc." et dans la distribution du revenu. S’agissant en particulier des marchés financiers, on ne peut les laisser livrés à eux-mêmes qu’à nos risques et périls. Les pouvoirs publics doivent prévenir leurs mouvements extrêmes dans les deux sens avec des règles plus améliorées et plus efficaces. La présence de l’Etat dans le capital des banques permettra d’orienter, au mieux, le crédit vers le financement d’activités génératrices d’emploi et porteuses de croissance au détriment d’activités spéculatives. L’application de taux d’intérêt diversifiés aiderait à une meilleure orientation du crédit. Il ne s’agira pas d’Etat sapeur-pompier ou d’Etat qui engage les fonds des contribuables pour une socialisation des pertes des entreprises et une privatisation des profits.

7. LES EFFETS DE LA CRISE SE FONT SENTIR SUR LE CONTINENT AFRICAIN

Dès le début de la crise, beaucoup d’experts avaient estimé que du fait de sa faible insertion dans le commerce mondial (3 %), l’Afrique serait épargnée par ses effets. Même tardifs, les effets sont apparus et tous les pays sont touchés. Très limités dans le secteur financier, ils sont profondément ressentis dans l’économie réelle (mines, pétrole, produits agricoles, etc.).
Très peu tournées vers l’international, et disposant de peu d’actifs à l’étranger, les banques africaines ne sont pas concernées par la crise des subprimes, ces produits toxiques qui ont fait couler beaucoup de banques. On notera cependant que, les pays dotés d’une place boursière relativement développée comme le Nigéria, l’Egypte, l’Ile Maurice, le Kenya et l’Afrique du Sud, ont enregistré des pertes substantielles de leur capitalisation. Le géant sud africain Old Mutual a perdu 135 millions de dollars du fait de sa connection avec Freddie Mac et Fannie Mac, les deux grandes institutions financières américaines qui ont fait les plus grosses pertes durant cette crise.
C’est au niveau des matières premières que l’Afrique ressent le plus la crise. Du fait de la baisse de la demande et donc de celle des prix, les revenus attendus des exportations ne pourront que diminuer. Les estimations faites par les institutions financières internationales et le Comité des 10 ministres des finances mis en place par la Banque Africaine de Développement sont alarmantes. On s’attend à une baisse des exportations de l’ordre de 40 % représentant une perte de 251 milliards de dollars en 2009 et 277 milliards en 2010. Au total, les exportations africaines qui devaient avoisiner 634 milliards pour 2009 plongeraient à 383 milliards avec la crise.
Après les matières premières, l’Afrique sera frappée par un net ralentissement des investissements directs étrangers. Grâce à la relance des années 2000, le flux des capitaux privés à destination de l’Afrique a doublé, passant à 60 milliards de dollars en 2008. Mais la contraction des investissements et la faible liquidité des marchés menacent de le ramener à 30 milliards en 2009. Dans les pays pauvres, en effet, c’est l’extraction des ressources naturelles qui attire généralement la plus grande part des investissements directs : 75 % au Nigéria, 68 % au Botswana … Dès lors que la baisse des cours obère le rendement de tels investissements, ceux-ci se ralentissent inévitablement. De grands projets sont concernés, souligne le rapport du "Comité des 10". Certains sont reportés sine die à des temps meilleurs. On cite des raffineries en Algérie et au Soudan, des centrales électriques au Botswana et en Ethiopie, des aéroports et des ports, etc. Il y a des projets régionaux qui pourraient aussi souffrir du ralentissement des investissements privés comme les projets d’infrastructures du NEPAD, de l’interconnexion électrique de la CEDEAO (WAPCO) et de Compagnie ECO AIR.
Le troisième flux de revenu menacé est celui des transferts de fonds des travailleurs émigrés car la crise économique a frappé d’abord et principalement les secteurs qui emploient le plus d’immigrés, la construction et l’industrie. Les premiers emplois supprimés sont ceux des travailleurs les moins qualifiés et les plus précaires, là encore, le plus souvent immigrés. Selon une étude publiée par la Banque mondiale en mars 2009, "les familles africaines qui survivent grâce à l’argent envoyé par les migrants vont perdre 1 milliard de dollars en 2009 sur un total de 20 milliards reçus en 2008 (12).
Le quatrième flux financier affecté est celui de l’aide publique au développement (APD). L’ONU a recommandé d’affecter 0,7 % du produit intérieur des pays riches à l’APD, afin d’atteindre en 2015, les objectifs du millénaire pour le développement (réduction de moitié de la pauvreté et de la faim, accès à l’eau potable, etc.).
Mais on en est loin. Lors du sommet de Gleneagles en 2005, les pays du G7 s’étaient engagés à doubler leur aide à l’Afrique d’ici à 2010, en la portant à 50 milliards de dollars. Selon l’Organisation de Coopération et de Développement Economique, (OCDE), l’aide bilatérale des pays riches au continent s’est limitée à 26 milliards. A leur dernière rencontre à Londres, les pays membres du G20 ont annoncé une enveloppe globale de 1 100 milliards de dollars destinés principalement aux pays pauvres. Bien que l’ONU ait appelé les pays riches à ne pas sacrifier les objectifs du millénaire sur l’autel de la crise, il reste à savoir si cette annonce du G20 sera suivie d’effets.
Au final, cette crise va déboucher sur une dégradation des équilibres macroéconomiques d’un grand nombre de pays. Plus les exportations vont fléchir, moins les Etats vont encaisser des devises et de droit de douane. Les entreprises seront plus en difficulté et paieront aux Gouvernements, moins de Taxe sur la valeur ajoutée et d’impôts sur les bénéfices. Le déficit des comptes courants (balance de paiements extérieurs) atteindrait 4,3 % du PIB en 2009 contre un excédent de 2,7 % en 2008, tandis que les déficits budgétaires exploseraient à 5,4 % du PIB, contre un surplus de 2,8 % (13).
La réaction des pays africains face à la crise reste très molle. Avec quelques moyens, ils prennent certaines mesures : aides aux entreprises exportatrices, baisse de taux d’intérêt, réduction des dépenses budgétaires. Des Comités de suivi de la crise sont créés pour colmater les brèches, leur rôle étant de suivre au plus près l’évolution des marchés intérieurs afin d’éviter l’aggravation de la pauvreté, synonymes d’émeute et de répression.
Certaines mesures de politiques économiques sont suggérées pour financer les déficits provoqués par la crise : la dévaluation, la planche à billets, l’augmentation des impôts ou le recours aux concours extérieurs. La première solution, celle de l’ajustement des taux de change, est un couteau à double tranchant. Elle encourage les investissements étrangers mais alourdit les factures à l’importation. La deuxième solution appartient à un passé révolu car elle fait plus de mal que de bien (inflation). Quant à la troisième solution, elle pénalise les entreprises et les consommateurs en augmentant la pression fiscale. Reste donc les apports de capitaux extérieurs. La BAD estime les besoins du continent à un minimum de 106 milliards de dollars sur deux ans (2009-2010), juste pour rétablir le rythme précédent de croissance. Mais pour véritablement relancer les économies et atteindre les 7 % de croissance nécessaire à la réalisation des infrastructures de base et à la réduction de moitié de la pauvreté d’ici à 2015, il faudrait 247 milliards sur deux ans.
De quels capitaux extérieurs s’agit-il ? De l’aide publique au développement dont le passé a montré les incertitudes qui l’entourent ? Ou des investissements directs étrangers en direction de l’Afrique au ralenti en raison de la baisse des cours des matières premières ? L’Afrique est dans une impasse. Mais comme l’a dit le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, Cette crise nous réveille. C’est une stimulation … Plus elle est grave, mieux, il nous faut investir pour en sortir. (14)
Plus que jamais, c’est le moment de créer les meilleures conditions pour la mobilisation des ressources internes en créant des marchés financiers locaux et en développant les partenariats public-privé. Au niveau UEMOA par exemple, il faut créer un cadre de concertation pour la promotion d’un marché financier régional avec des produits adaptés et une fiscalité incitative. Un réexamen des lois de finances dans l’optique d’une réduction des dépenses s’impose. Il faut encourager, et cela n’est pas nouveau comme recommandation, la valorisation des produits à l’exportation ainsi que leur diversification, le renforcement de l’intégration régionale et le développement des infrastructures. A défaut des caisses de stabilisation qui ont été créées dans les années 1960 pour amortir les fluctuations des cours du café, cacao, coton et qui ont été supprimées à la demande du Fonds Monétaire International, les pays africains sont exhortés à constituer des fonds "pour les générations futures", comme en Norvège, au Qatar ou en Russie, où les recettes engrangées pendant les années de vaches grasses permettent de ne pas trop souffrir des années de vaches maigres. Il y a peut-être une opportunité à saisir : les marchés de capitaux ayant démontré leur absence de sécurité, les investisseurs peuvent se retourner vers l’économie réelle et vers le Continent. Pour cela, il faut créer un climat des affaires attrayant.
Mais la crise pose aux africains des questions profondes. L’Afrique peut-elle croître avec un modèle de croissance fondé sur la financiarisation et la globalisation que nous impose l’économie capitaliste ? Comment construire les économies africaines plus résistantes aux chocs ? Comment préparer l’Afrique à mieux participer aux débats et aux négociations mondiales ?
Sans chercher à répondre à ces questions, certaines pistes sont à explorer.
L’Afrique doit soutenir l’idée de la création d’un Conseil pour le Développement Durable et en être membre. Ce conseil s’occupera des questions économiques et sociales internationales. En fait, le conseil pour le développement durable devrait être un forum de délibération avec pour objectif, la contribution à la justice sociale, la stabilité et la prospérité sur la base de la Charte de l’ONU. Ce sera un organe de coordination en ce qui concerne les compromis entre les échanges, l’emploi et l’environnement.
L’Afrique doit soutenir aussi l’idée d’une réforme du Fonds Monétaire International, de la Banque Mondiale et de l’Organisation Mondiale du Commerce. Le point important ici, n’est pas l’idée de réformer seulement les aspects organisationnels de ces institutions, mais de faire en sorte qu’elles changent leur modèle économique et social qui du reste, sont d’inspiration néo-libérale et conservatrice. L’Afrique doit enfin, lutter pour le renforcement du rôle des Nations-Unies. Le système des Nations-Unies reste aujourd’hui, le meilleur creuset pour les Etats africains pour participer au débat sur les questions mondiales, convaincu que l’approche multilatérale de ces questions demeure une bonne voie pour l’avenir du monde, face à l’approche unilatérale.
De ce point de vue, une réforme de la composition et des mécanismes du Conseil de Sécurité s’impose. Les membres permanents devraient être représentatifs de l’ensemble du monde. Le Président brésilien Lula cité plus haut, réclame en notre nom à tous, un nouvel ordre économique et social et dit ceci "Nous voulons avoir beaucoup plus d’influence dans les affaires politiques du monde. Nous voulons en particulier que les institutions financières multilatérales telles que la Banque Mondiale et le FMI cessent d’être entre les mains des seuls Américains ou Européens. Nous voulons que les hommes et les femmes des autres continents aient une participation plus grande au Conseil de Sécurité des Nations-Unies, que le Brésil y ait un siège permanent, que les Africains en aient un ou deux".

8. LA CRISE N’EPARGNE PAS LE BENIN

Tout ce qui a été dit de l’Afrique concerne bien entendu, le Bénin du point de vue des points d’impact de la crise comme des portes de sortie. Les banques béninoises ne sont pas particulièrement touchées par les subprimes ; on s’attend à une baisse des cours du coton en raison de la contraction de la demande chinoise (de l’ordre de 6 % par la banque mondiale). On peut s’attendre aussi à une baisse de l’aide publique au développement et des investissements directs étrangers. En mars 2009, les banques font état d’une baisse des transferts de fonds des émigrés de l’ordre de 30 %. Beaucoup d’entreprises béninoises entretiennent des dépôts importants à cause de la mévente consécutive à la faiblesse du naira notée ces derniers temps. Selon le rapport trimestriel sur l’évolution macroéconomique et l’état d’avancement des réformes au Bénin d’avril 2009, publié par le Ministère des Finances Le recul attendu de la croissance de l’activité économique devrait se traduire par une baisse des recettes de l’Etat … Les recettes totales sont établies à 92,2 milliards de F CFA à fin février 2009 contre 103,0 milliards de F CFA en février 2008. Ce recul provient principalement des recettes douanières qui sont passées de 46,7 milliards à 43,3 milliards sur la période, soit une baisse de 7,2 %. Cette contre-performance de la douane résulte d’une baisse de 27 % des importations en régime de mise à la consommation et d’une baisse de 51 % des transactions par le régime du transit en direction du Nigeria (15).
Le même rapport poursuit que les perspectives économiques pour l’année 2009 suggèrent une diffusion de la crise financière internationale à l’économie béninoise avec un taux de croissance projeté à 4,4 % selon les dernières estimations contre une prévision initiale de 6,1 %.
En réalité, le Bénin subit une crise directe du fait de son appartenance à la zone CFA et une crise indirecte du fait de sa proximité du Nigeria et du rôle que joue le naïra dans son économie. Les opérateurs économiques béninois estiment que près de 70 % de leur clientèle est nigériane de telle sorte que leur chiffre d’affaires est dicté non seulement par le cours du naïra, mais par des mesures de politique économique prises par le gouvernement nigérian. La diffusion indirecte de la crise à partir du Nigéria s’est faite à travers quelques canaux dont voici quelques exemples.
La baisse des cours du pétrole estimée à 48,5 % en 2009 selon le Fonds monétaire international combinée avec celle de la demande, induisent une baisse de l’activité au Nigéria et donc une baisse du revenu et un recul de la demande. Le pétrole représente l’essentiel des exportations et trois quarts des recettes de l’Etat. Le solde des finances publiques et celui des transactions courantes devraient passer d’un excédent à un grave déficit. Cette situation de baisse de recettes a, entre autres, amené le gouvernement nigérian à prendre des mesures dont celles d’abattre de 25 % les salaires des hauts fonctionnaires. Le gouvernement du Nigéria est aussi amené à annoncer par l’intermédiaire de son ministre de l’information et des communications, John Odey et à la surprise de l’instance dirigeante du football mondial, la FIFA, sa décision de retirer sa proposition d’organiser la coupe du Monde de football des moins de 17 ans qui devait lui coûter 37 milliards de naïra. Tout ceci traduit une ambiance de resserrement au niveau des finances publiques nigérianes avec pour conséquence, une baisse généralisée de la demande. Les produits de réexportation du Bénin en feront aussi les frais.
Deuxièmement, la baisse du cours du naïra noté actuellement sur le marché, s’explique en partie par la crise financière. Beaucoup d’opérateurs économiques nigérians ont craint qu’à cause de la crise, les banques nigérianes ne puissent plus bénéficier des lignes de crédit qui leur sont ouvertes chez leurs homologues étrangers. Tout doit se faire au comptant et ils ont dû acheter en un temps record des devises en cédant du naïra pour pouvoir faire leurs opérations. Par ailleurs, des entreprises qui avaient d’importants projets ont rapatrié des fonds pour les mettre à l’abri. Selon le quotidien privé "Vanguard", un total de 13,8 milliards de dollars serait sortis du pays pendant les huit dernières semaines ayant précédé le 18 décembre 2008. Cet exode des capitaux a eu pour conséquence, l’effondrement du taux de change du naïra qui était resté stable ces dernières années.
Troisièmement, l’Etat nigérian, conscient du fait que la crise va entraîner une paupérisation accrue des masses, a pris des mesures de désarmement tarifaire pour faciliter l’entrée sur son territoire de certains produits. Ces mesures concernent surtout les véhicules, les textiles et les denrées alimentaires, produits de réexportation par excellence à partir du Bénin. Les véhicules de plus de 10 ans de vie par exemple, sont autorisés à rentrer dans le pays alors qu’ils en étaient interdits.
Enfin, les banques nigérianes comme l’UBA, l’Union Bank qui nourrissaient de grandes ambitions pour encourager l’intégration régionale à travers l’extension de leurs réseaux dans la sous-région ouest africaine ont dû faire un repli, faute de ressources. L’installation de ces banques aurait pu offrir de nouvelles sources de financement de l’économie.
Ces exemples montrent l’importance de la connexion entre l’économie béninoise et l’économie nigériane. Le moins qui puisse se faire est qu’il soit créé un Observatoire de la Politique Economique Nigériane produisant des notes de conjoncture de façon régulière pour aider les ajustements nécessaires. C’est surprenant que l’importance des relations économiques avec le Nigéria ne se reflète pas dans l’état des bâtiments abritant l’Ambassade du Bénin toujours en location. S’il est vrai que cette connexion entre les deux économies est très forte, cela n’empêche pas de réfléchir aux mesures permettant de limiter les chocs provenant du grand voisin. Plus profondément, le Bénin se plait de cette économie de réexportation et ne cherche pas une alternative avec des fondations solides. Il y a des pays africains qui n’ont pas de frontières avec le Nigéria et qui montrent une grande capacité économique. Sur le plan national, l’aggravation inévitable du déficit budgétaire consécutive aux performances en baisse des régies financières en particulier des douanes, impose une gestion très attentive des finances publiques. Il est surprenant que dans une période où le resserrement doit être la règle, que les dépenses de l’Etat se soient élevées à 121,9 milliards de FCFA à février 2009, soit une hausse de 39 % par rapport à la même période de l’année 2008, alors que les recettes ont diminué de près de 11 % s’établissant à 92 milliards de F CFA en février 2009, contre 103 milliards en février 2008.
Les recettes de politique économique tendant à une augmentation des impôts ou à un harcèlement fiscal peuvent produire des effets contraires ; les entreprises rechercheront plutôt la voie de l’informel. Au mieux, peut-on rechercher à accroître l’assiette fiscale ? Tous les pays sont frappés par la crise financière ; la différence entre eux viendra de la manière dont chacun s’organise pour y faire face afin de soulager les souffrances des populations ; le Bénin subit la crise financière, il en a été de même de la crise énergétique ; il a connu aussi la crise alimentaire. Nous ne connaissons pas la prochaine crise mais certaines crises peuvent être évitées comme la crise alimentaire. C’est depuis le cours primaire que l’on apprend que le Bénin a une économie fondée essentiellement sur l’agriculture. On en est arrivé à la formule que si l’industrie était le moteur, l’agriculture en était la base. On ne peut donc pas comprendre que des décennies après, le Bénin souffre d’autosuffisance alimentaire. Le potentiel agricole est immense. Il y a de l’eau, de la main d’œuvre et pas de grandes forêts à raser.
La nouvelle approche de jeunes aux champs qui fait courir les membres du gouvernement me rappellent les champs collectifs et les coopératives agricoles. Il n’est pas sûr que les souvenirs soient bons. Il semblerait que l’agriculture béninoise souffre, entre autres, d’un droit foncier peu favorable et d’une organisation paysanne mal structurée. Il est donc possible de retenir les villageois dans leur village en attaquant les maux de l’agriculture à la base, ce qui permettra d’ailleurs de limiter l’exode rural.
L’influence de la crise sur la pauvreté et l’emploi est évidente. Ils sont nombreux les parents qui ont sous leur bras aujourd’hui à la maison : ingénieurs, techniciens supérieurs, sociologues, historiens, diplômés de CAP, de BEP, etc. Lorsque vous voyez les élèves sortir de l’école à midi, vous vous posez la question de savoir, qu’est ce qu’ils vont devenir ? La fonction publique n’est plus la réponse, les entreprises privées ne courent pas vers le Bénin pour s’y installer. Il y a donc une bombe en instance. Selon une étude publiée par le Conseil des Investisseurs Privés au Bénin en 2006, (16) près de 200 000 jeunes supplémentaires arriveront sur le marché de l’emploi d’ici 3 à 7 ans, chaque année. Si l’on considère une entreprise ayant généré un bon millier d’emplois directs ou indirects ; c’est 200 entreprises de cette taille qui devraient voir le jour chaque année pour résorber l’excédent de main-d’œuvre.
Pourtant, c’est du côté du secteur privé que doit venir l’espoir. Or, selon la même étude citée plus haut, le secteur privé qui tente de se développer est confronté à des tracasseries de toutes sortes. Ainsi en matière d’imposition, les taxes et droits sont plus élevés au Bénin qu’ailleurs. Par exemple, sur une tonne de farine de blé, l’importateur du Bénin paie l’équivalence de 57 % de la valeur coût et assurance de ce produit en taxes de toute nature contre 40 % au Togo et 10 % (hors frais de transport et de transit) au Niger. Par ailleurs, il verse 32 % pour le riz contre 27 % au Togo et 16 % au Niger. C’est ainsi que la place commerciale du Bénin est devenue répulsive pour de nombreux opérateurs économiques qui opèrent désormais à partir des pays voisins. Notre positionnement en net recul dans le "doing business" n’est pas un bon message (169ème en 2008 contre 151ème en 2007 sur 178 pays).
La situation économique du Bénin n’offre donc pas actuellement à la jeunesse des perspectives de jours meilleurs et de bien être, car les politiques de développement mettent souvent l’accent sur des variables macroéconomiques mais pas suffisamment sur les questions de marché de travail.
Certes, il existe quelques palliatifs à l’emploi durable. Il s’agit des taxi-motos (zémidjan), des vendeurs à la sauvette d’essence importée du Nigéria et des vendeurs de cartes de recharge de téléphone mobile, etc. Mais la question qui se pose aujourd’hui, conclut le même document du conseil des investisseurs privés, est de savoir combien de temps encore ces boulots seront acceptés et serviront d’exutoire, y compris aux diplômés de l’enseignement secondaire et de l’enseignement supérieur. Combien de temps ces palliatifs pourront entretenir l’illusion et l’espoir parmi la jeunesse et pendant combien de temps encore ces palliatifs à l’emploi maintiendront-ils la cohésion sociale et la paix dans le pays ? Il s’agit là d’une préoccupation majeure qui doit interpeler chaque Béninois.
Dans une situation de ressources propres limitées et sans réserves pour les mauvais jours, le Bénin doit revoir ses dépenses à la baisse et reprioriser les activités du Programme d’Investissement Public. Dans une crise pareille, le secteur public paraît limité pour y faire face ; il a besoin du secteur privé avec lequel doit s’ouvrir un dialogue franc et profond pour réfléchir aux différentes issues. Un dialogue assorti de mesures applicable peut avoir un impact direct sur l’économie. Les entreprises ne subissant pas la crise de la même manière, il est important que les échanges secteur public / secteur privé se fassent secteur économique par secteur de manière à identifier au plus près, les problèmes spécifiques. Il en est ainsi en particulier de la filière coton où l’on peut s’interroger si producteurs et égreneurs et même l’Etat et les banques sont organisés pour éviter toute surprise désagréable. De toute évidence, les entreprises qui auront disparu pendant la crise ne seront plus là après, ce qui entraînera des manques à gagner pour les services fiscaux. L’Etat doit créer une ambiance d’espérance par des mécanismes pour soutenir les entreprises qui ne parviennent pas à faire face à diverses exigences fiscales.
D’une manière plus générale, l’économie béninoise a une faiblesse majeure qui est celle d’être une économie d’opportunités trop centrée sur les activités de réexportation ou commerciales. Il faut tendre à la recherche des niches économiques propres, capables de permettre au Bénin de jouer un rôle important dans la sous-région et dans le monde. Les combats de limitrophes avec les voisins de l’UEMOA consistant à des modifications concurrentielles des taux de dédouanement des marchandises pour attirer le plus d’affaires sont sans lendemain. Ces combats ne sont pas en faveur des fondations d’une économie de complémentarité dans la sous-région basée sur des productions et des fonctions propres à chaque pays.
En guise de conclusion, je dirai que cette crise peut être une chance de salut pour le monde, une dernière alerte avant la catastrophe que pourrait déclencher une mondialisation anarchique ; une chance de salut surtout pour les pays africains que cette crise devrait faire réfléchir pour leur avenir. Si cette crise pouvait être un coup de fouet pour galvaniser les énergies, elle ouvrirait la voie à des lendemains meilleurs pour tous.
La solution pour s’en sortir, en particulier pour les pays développés ne sera pas le repli sur soi, une telle formule, caractérisée par un très fort protectionnisme et des dévaluations compétitives, a montré ses limites pendant la grande crise de 1929. Du fait d’une plus grande imbrication des économies, de l’intensité de la division du travail, de l’intrication des marchés des capitaux et des biens, la nécessité d’une approche commune de la crise s’impose. Il faudra mettre en place, une gouvernance mondiale plus exigeante du système financier, définir en commun ce que peut être un système financier sain, au service d’une croissance de haute qualité à la fois sociale et environnementale, ce que peut être une bonne banque. Il faut s’assurer d’une réglementation sans cesse mieux adaptée à l’inventivité des marchés et à l’évolution des technologies. Comme l’a souligné Jacques Attali (17) la supervision de la finance est une fonction d’intérêt général qui ne doit pas être laissée, même en partie, aux mains du secteur privé, ni même d’un seul gouvernement qui pourrait imposer des règles conformes à ses propres intérêts, mais désastreuses pour les autres. Une réglementation planétaire, détaillée et sans cesse remise en cause devrait permettre d’anticiper les déséquilibres.
Mais cette approche commune implique aussi que chaque pays mette de l’ordre au niveau de son économie (finances publiques, soutien aux secteurs en difficulté, lancement de grands travaux pour soutenir la demande, etc.).
Quant aux Etats africains, cette crise est la première qu’ils connaissent véritablement en tant que Etat, ils étaient des colonies en 1929 lors de la grande dépression aux Etats-Unis. Ils vivent une crise qu’ils sont en train de subir. Sans armes, ils attendent que leur salut vienne de l’extérieur. Ils ne se sont jamais préparés à faire face à des situations pareilles. En réalité, cette crise a mis à jour la nécessité de refonder l’Etat africain post-colonial qui souffre cruellement du manque d’objectifs stratégiques de développement. A chaque régime politique, son programme, à chaque ministre, son programme, sans qu’il soit possible de bâtir un programme de développement à long terme pour le pays autour duquel un accord minimal politique est obtenu.
Les succès des pays émergents aujourd’hui en particulier, de la Chine, ne sont pas les fruits de décisions prises il y a quelques mois, ou de décisions au quotidien et sans cesse remises en cause. C’est depuis 1978, c’est-à-dire depuis trente ans, que par des réformes profondes (politique d’ouverture sur l’extérieur, libéralisation des énergies, soutien au secteur privé), que la Chine a atteint ce niveau extraordinaire de développement. La Corée du Sud qui a connu aussi un développement spectaculaire était à peu près dans les mêmes conditions économiques que le Ghana, il y a une quarantaine d’année.
Il est donc temps pour les africains de bâtir des programmes de développement qui assurent la croissance économique et tendent vers la réalisation d’une société de partage et d’équité.

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Publié dans Politique nationale

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