Dangnivo pour un Etat béninois ni monstre ni froid

Publié le par MJPAC-ABT

urbain pierre dangnivo disparu1Quelle clarté, si le sieur Pierre Urbain Dangnivo avait disparu après avoir annoncé qu’il irait ‘‘respirer l’air marin avant de rentrer ce soir’’ ! Vingt-quatre heures après l’alerte de sa disparition, on eût retrouvé son cadavre rejeté par les vagues de l’Atlantique bien loin de la plage où l’on aura retrouvé sa voiture avec, à l’intérieur, ses habits et ses téléphones portables débordants d’ ‘‘appels en absence’’. L’affaire est confiée au juge. Le médecin légiste conclut à une crise cardiaque en pleine baignade. Les parents retirent le corps et l’enterrent. Beaucoup de larmes. Et même des critiques à l’encontre du disparu : ‘‘Quelle idée d’aller se baigner tout seul après 19h, quelle idée ! Pierre a toujours été un peu imprudent. Quelle idée !’’
Hélas, nous ne sommes pas, avec Pierre Urbain Dangnivo, dans ce schéma simple, simpliste, presque entendu et conventionnel. Mais ce que l’on ne dit pas, et qui se cache derrière les vagues, les remous et la peur collective, c’est que, dans la mémoire des Béninois au moins quadragénaires, la disparition de Dangnivo renvoie à celle du sous-préfet Pamphile Hessou restée sans explication depuis environ vingt ans. C’est que, en filigrane, la disparition de Pierre Urbain Dangnivo renvoie aux officiers Tossou et Koundé, abattus il y a plus d’une décennie respectivement en pleine nuit à Godomey et en plein jour à Cotonou ; renvoie de même aux juges Dossou-Yovo et Coovi il y a moins de dix ans : l’un retrouvé baignant dans son sang après s’être apparemment égorgé lui-même dans son lit à l’aide d’un coupe-coupe, l’autre retrouvé calciné dans sa voiture avec des traces de torture qui plaident pour l’horreur. Voilà donc quatre autres cas auxquels renvoie, mutatis mutandis, le cas de Dangnivo.
Ne nous préoccupe jamais le cas des fous non violents qui disparaissent un beau matin de notre paysage : ils ne s’occupaient de personne et personne ne s’occupait d’eux hors le temps de leur jeter la pièce. Mais en principe, nous devrions, à chaque fois, alerter le commissariat le plus proche de la disparition de ces fous, qui sont des citoyens comme nous et dont la sécurité, comme la nôtre, relève de l’Etat. L’Etat, voilà la plaque tournante, le lieu géométrique, le point concentrique de tous les regards citoyens. Or l’Etat, partout et toujours, et même quand il est républicain et démocratique, l’Etat est, par nature, un monstre froid. Il l’a démontré dans les quatre cas cités ayant précédé celui de Dangnivo et qui sont restés sans explication à ce jour. Et que nul ne compte sur l’Etat pour se saisir lui-même du cas des fous ou des clochards qui disparaissent un beau matin sans traces. L’Etat a toujours d’autres chats à fouetter tant que la société civile n’attire pas son attention sur la répétition possible et à l’infini d’une situation ponctuelle aussi grave que la disparition d’une personne humaine.
Or donc les vagues et les remous, la peur collective autour de Dangnivo concernent autant Dangnivo que chaque citoyen et chaque citoyenne. L’interrogation est tout aussi collective qu’inconsciente : après Dangnivo et ceux qui l’ont précédé dans l’indifférence glaciale de l’Etat, à qui le tour ? Aucun citoyen ni aucune citoyenne ne voudrait, évidemment, que ce soit son tour. D’où le lever de boucliers procédurier pour que l’Etat béninois ne bâcle pas l’affaire Dangnivo comme il le fit déjà pour d’autres affaires semblables. De fait, tout le monde est concerné, y compris les acteurs de l’Etat, pendant qu’ils sont en fonction et quand ils ne seront plus en fonction. Tous les Béninois sont concernés par la capacité et l’efficacité de l’Etat béninois à garantir la sécurité des citoyens, à garantir leur droit d’aller et de venir librement tant qu’ils n’ont rien à se reprocher vis-à-vis des lois en vigueur.
La souffrance des parents et des amis de Pierre Urbain Dangnivo requiert notre respect, voire notre silence. Mais qu’il soit retrouvé vivant ou pas, l’administrateur de banque, que très peu de Béninois connaissaient hier, vient d’entrer dans notre histoire comme celui qui nous aura permis d’attirer l’attention de notre Etat sur ses responsabilités régaliennes au sujet de la sécurité de nos vies et de nos biens, sécurité pour laquelle nous lui avons remis tous les pouvoirs de la Finance, de l’Armée, de la Police et de la Gendarmerie. Nous devons donc une fière chandelle à Dangnivo qui aura donné l’alerte pour un Etat béninois ni monstre ni froid.

(Par Roger Gbégnonvi)

Publié dans Chronique

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